L’antagonisme Klopp-Guardiola
- LA FINE EQUIPE
- 8 avr. 2020
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Ces dernières années, deux entraîneurs au palmarès débordant de trophées se démarquent pour le titre de meilleurs techniciens. D’un côté le ré-inventeur du football moderne, Pep Guardiola avec son Barça légendaire, son Bayern impressionnant puis son City séduisant. De l’autre côté, l’allemand Jurgen Klopp, plus extravagant, mais terriblement inspirant pour ses joueurs. Que ce soit avec le fabuleux Dortmund ou le sublime Liverpool. Deux philosophies s’affrontent et deviennent le théâtres d’un antagonisme footballistique fascinant.
Pep Guardiola, le génie
Josep Guardiola i Sala, de son vrai nom, est le théoricien du jeu de position du grand Barça des années 2010 hérité de la philosophie de la légende batave Johan Cruyff. Il prend les reines du FC Barcelone en mai 2008. Dès sa première saison, et à seulement 38 ans, il réalise un sextuplé historique, il remporte toutes les compétitions dans lesquelles son équipe est engagée. Jusqu’en 2012, il remporte 14 trophées sur 19 possibles. Il quitte le navire blaugrana avec un bilan stratosphérique de 21 défaites pour 323 matchs toutes compétitions confondues et 82 % de points pris en championnat. Il se rend par la suite au Bayern de Munich (2013-2016) où il remporte championnats et coupes nationales. Puis il pose ses valises en Angleterre pour entrainer Manchester City. Il y remporte deux fois d’affilée la Premier League et réalise un triplé domestique en 2018-2019. Mais depuis 2011, le technicien catalan ne parvient pas à reconquérir la Ligue des champions. Acquise dernièrement par son rival Jurgen Klopp qu’il retrouve en Angleterre lorsqu’il rejoint City en 2016.
Jurgen Klopp, le looser magnifique
Jurgen Klopp, parfait opposé de Guardiola, à la fois dans le jeu, dans la gestion de l’effectif, dans le caractère, mais aussi dans le parcours. En effet, le Teuton entame sa carrière le banc de Mayence de 2001 à 2008, loin du départ canon de son homologue, Jurgen oscille entre la D1 et la D2 allemande. En 2008, il s’engage avec le Borussia Dortmund et connait enfin une période de gloire lorsqu’il remporte deux fois la Bundesliga et atteint la finale de la ligue des champions (perdue 2 - 1 face au Bayern). En 2015, il s’envole pour Liverpool. C’est en 2019 avec les Reds qu’il atteint l’apogée de sa carrière. Celle-ci vient en remportant enfin une compétition européenne après une finale de ligue Europa perdue en 2016 et une de ligue des champions en 2018. Il ne reste plus qu’à Klopp de remporter le championnat anglais qui échappe à Liverpool depuis 1990. La saison 2019-2020 s’annonce de très bon augure avec une première partie de championnat bouclée avec 18 victoires et un nul.
Les deux entraineurs ont donc un parcours diamétralement opposé. Guardiola a tout connu tout de suite, il a été propulsé sur le devant de la scène dès sa première saison. Depuis, il subi une pression énorme à chaque saison. Quant à Klopp, il a débuté avec un club plus modeste que le FC Barcelone. Il a connu la deuxième division, des places non-européennes, des équipes à reconstruire… Mais il a su franchir chaque étapes pour rejoindre Guardiola au top des entraîneurs mondiaux. Et ceci grâce à une philosophie de jeu bien marquée, et antagoniste du jeu de possession de Guardiola, le gegenpressing.
Le jeu de possession : l’arme fatale
Guardiola a su imposer sa vision du jeu et sa philosophie lors de sa prise de fonction au Barça. Il se ré-approprie les préceptes de Cruyff et met en place son jeu de possession. Celui-ci est vulgairement appelé « tiki-taka », ce qui a tendance à énervé Pep. Selon lui, le tiki-taka signifie littéralement « une possession sans intention » alors que son jeu de position n’a qu’un seul objectif : créer un surnombre avec des hommes libres entre chaque ligne pour conclure par un but. Pour cela, les joueurs (à partir du gardien) doivent effectuer des passes après que l’adversaire ait engagé son pressing, de sorte à toujours trouver un partenaire démarqué et à progresser sur le terrain efficacement. « Personne ne monte sur toi ? Alors avance avec la balle vers le but. Va marquer ! Si un adversaire sort sur toi, il libérera un coéquipier. Selon les mouvements de l'adversaire, il y a toujours des hommes libres.» explique lui même Guardiola. Son passage à Barcelone représente l’apogée de sa méthode, les blaugranas marchent sur l’Europe et l’équipe nationale espagnole qui s’approprie cette philosophie de jeu marche sur le monde. Mais depuis son départ de Catalogne, Pep doit évoluer et adapter son jeu, sa méthode s’essouffle et bien que ses équipes restent des cadors européens et raflent les trophées nationaux, il n’arrive pas à retrouver son hégémonie européenne. La faute, peut-être, a un statut d’homme à abattre qui a fait évoluer les tactiques vers des plans de jeu « anti-guardiola ».
Le gegenpressing : le courage comme maître-mot
La tactique dans le football évolue par annihilation de plans de jeu qui fonctionnaient à un moment donné. Au début des années 2010, le jeu de possession écrase la concurrence en Europe et semble inarrêtable. C’est alors que le concept de gegenpressing (contre-pressing) émerge. Jurgen Klopp en est le théoricien, il résume : « Le meilleur moment pour récupérer le ballon, c’est juste après l’avoir perdu. L’adversaire a quitté le jeu des yeux pour effectuer un tacle ou une interception et vient de dépenser de l’énergie. Il cherche son orientation pour passer le ballon. Ces deux éléments le rendent vulnérable ». Tous les joueurs doivent presser pendant 5 à 7 s après la perte de la balle afin de récupérer le ballon haut sur le terrain et ainsi mener une contre-attaque éclair. Il expérimente cette méthode avec Dortmund puis la sublime avec Liverpool avec les résultats qu’on lui connaît. Ce pressing intense à la perte de balle permet de déstabiliser les équipes qui développent leurs jeux par la multiplication de passes et la possession. Mais cela implique des efforts considérables pour les joueurs et une coordination parfaite. Cette tactique représente donc le parfait anti-Guardiola. En effet, le contre-pressing est une réaction au football proposé par les hommes du catalan. Il vient chambouler le « jeu de contrôle » de l’actuel coach de City en proposant des transitions offensives extrêmement rapides et empêchant le développement d’une possession adverse dangereuse. Et ceci avec succès, Jurgen Klopp est devenue la bête noire de Pep Guardiola. En 18 rencontres, l’allemand remporte 9 victoires face au catalan pour 7 défaites et 2 nuls, le meilleur bilan pour un entraîneur ayant joué plus de 10 matchs contre Guardiola.
« Guardiola élabore des équipes de soldats quand Klopp fait naître des équipes de guerriers. »
La qualité d’un entraîneur se traduit également par sa capacité à manager, à gérer son groupe avant, pendant et après les matchs. Sur ce point, les deux légendes vivantes de la zone technique sont, encore une fois, diamétralement opposées. Guardiola règle ses matchs comme du papier à musique. Tout est pensé, analysé, organisé. Il donne le sentiment que rien n’est laissé au hasard. Klopp parait plus improvisateur, par son caractère plus extraverti et sanguin.
Les deux entraîneurs ont également montré qu’ils sont capables de faire éclore ou de relancer des joueurs de talents. Guardiola a contribué à la mise en orbite d’un certain Lionel Messi, mais à aussi lancé le formidable Josuah Kimmich (récupéré en D2 allemande) avec le Bayern et en faire un successeur spirituel du grand Philippe Lahm. Il a également fait passer un cap à l’insaisissable Raheem Sterling. Jurgen Klopp, quant à lui, est plus habitué à récupérer des équipes en reconstruction. Il relance Dortmund grâce à l’éclosion d’une jeunesse allemande dorée (Reus, Götze, Hummels, Gundogan…) et des joueurs comme Lewandowski. Puis il rafistole un Liverpool en perte de vitesse en sublimant des joueurs pas forcément attendus au plus haut niveau mondial (Salah, Firmino, Mané, Wijnaldum). Ainsi qu’en donnant leur chance à des jeunes tels que Robertson ou Alexander-Arnold.
Guardiola est un fin tacticien, mais a parfois du mal à gérer un vestiaire à l’image des altercations qu’il a connu avec Samuel Eto’o ou Zlatan Ibrahimovic. Alors que Klopp est un formidable meneur d’homme, capable de faire ressortir le meilleur de ses joueurs et de galvaniser tout un groupe. Cette compétence lui sert d’ailleurs dans l’application de son gegenpressing. Effectivement, cette tactique demande une grinta et une implication extrême. De ce fait, les joueurs doivent avoir un sens du sacrifice et ne pas rechigner face à l’effort. La proximité de Klopp avec ses hommes renvoie l'impression d’un groupe soudé dans lequel chaque joueur, du titulaire indiscutable au réserviste, est capable de tout donner pour son équipe et son coach. Guardiola, lui, est plus cérébral que sentimental. Il enseigne sa philosophie à ses joueurs qui y adhèrent et se battent, balle au pied, pour sa suprématie. Finalement l’antagonisme sportif de ces deux entraîneurs se résume par une idée. Guardiola élabore des équipes de soldats quand Klopp fait naître des équipes de guerriers.
Eliot POUDENSAN
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