A bientôt Schalke 04, récit de la chute des “Bleus Royaux”
- LA FINE EQUIPE
- 7 mai 2021
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Schalke est relégué en Bundesliga 2. Son destin a été scellé à Bielefeld, mais il est préparé depuis plusieurs années. C'est une histoire d'échec sportif, de mauvaise gestion, de scandale lié à la pandémie et du pouvoir d'un seul homme.
Avec plus de 160 000 membres, Schalke 04 est le deuxième club de football le plus populaire Outre-Rhin. Sept fois champion d'Allemagne et l'un des grands noms du football européen. En 2018 encore, ils étaient vice-champion de Bundesliga. En 2011, ils atteignaient les demi-finales de la Ligue des champions. Le centre de formation de Schalke, le célèbre Knappenschmiede, a produit des talents tels que Manuel Neuer, Leroy Sané, Julian Draxler, Mesut Özil et Leon Goretzka. Mais aujourd'hui, pour la première fois en 33 ans, les “Royal Blues” ont été relégués en deuxième division. Le dernier clou du cercueil a été la défaite sur le terrain de l'Arminia Bielefeld, le mardi 20 avril, un résultat qui n'a fait que confirmer l'inévitable : En 15 mois, depuis janvier 2020, Schalke n'a gagné que deux matchs de Bundesliga. Plus tôt cette saison, ils ont été à deux doigts d'égaler le record de 31 matchs sans victoire du Tasmania Berlin, datant de la saison 1965-1966. Ils ont été épargnés de cette ignominie grâce à une victoire 4-0 sur Hoffenheim. Il s'agit de l'une des deux seules victoires enregistrées depuis le début de la saison, au cours de laquelle Schalke a perdu 21 matches, encaissé 76 buts et en a marqué seulement 18. Et encore, il reste aux joueurs trois matchs à jouer.
Et pourtant, ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Cette mésaventure a laissé Schalke avec une dette de 217 millions d'euros, un entraîneur inexpérimenté, une équipe inadaptée à la deuxième division, un conseil présidentiel en fracture totale, une base de fans complètement désabusée et une liste d'intrigues rivalisant avec n'importe quel drame Netflix. Pour résumer Schalke 04 depuis 2018, c’est : mauvaises décisions solutionnées avec des mauvaises décisions.
Par où commencer ?
Le jour où tout a basculé pour le club de Gelsenkirchen, c'était le 7 août 2019. Le jour où le conseil d'administration a accusé Clemens Tönnies de racisme. Plus tôt dans la semaine, Tönnies, le patron du club de Schalke depuis 2001, avait pris la parole lors d'une conférence d'affaires dans la ville voisine de Paderborn. Il y avait plaidé pour la construction de centrales électriques en Afrique afin que, lorsqu'ils recevraient de l'électricité, " (les Africains) cesseraient de produire des enfants dès qu'il fait nuit. " Tönnies s'est excusé, mais malgré les appels des supporters de Schalke pour qu'il démissionne, le conseil d'honneur, une sorte de commission interne d'éthique du club, l'a autorisé à quitter temporairement avec son accord, son poste de chef pendant trois mois. Pour les supporters, c'est à ce moment-là que Clemens Tönnies a placé ses propres intérêts et sa propre réputation au-dessus du club. Il ne voulait pas passer pour un raciste et le club a succombé à ses exigences pour l'apaiser. La façon dont l’institution a géré toute l'affaire est symptomatique de ce que les fans de football en Allemagne appellent le "système Tönnies". Dans celui-ci, toutes les structures du club de Schalke ont été taillées sur-mesure pour un seul homme. Le contexte dans lequel s'est déroulée la chute dramatique de Schalke et sa relégation n’ont plus rien d’étonnant pour les fans.

Christian Heidel et son changement de paradigme
Entre 2010 et 2016, Schalke a presque réduit de moitié ses dettes grâce à des qualifications régulières en Ligue des champions et en Ligue Europa, ainsi qu’aux ventes lucratives de joueurs de renom comme Neuer (Bayern Munich, 30 millions d'euros), Draxler (Wolfsburg, 43 millions d'euros) et Sané (Manchester City, 52 millions d'euros). Mais Tönnies voulait plus. La qualification pour la Ligue des champions ne suffit plus, pas plus que le simple remboursement des dettes. Schalke avait observé avec envie le succès de Jürgen Klopp dans le club voisin de Dortmund, mais le directeur sportif, Horst Heldt, avait été continuellement frustré dans ses propres tentatives pour attirer le jeune Thomas Tuchel de Mayence. Il était temps de prendre un nouveau départ ou ce que les supporters ont appelé rétrospectivement un "changement de paradigme". En grande pompe, Heldt a été remplacé par le charismatique Christian Heidel de Mayence, qui a installé Markus Weinzierl, précédemment à Augsbourg, comme entraîneur principal.
Au cours des deux années et demie suivantes, Heidel a signé quatre des cinq recrutements les plus coûteux de Schalke, à savoir Breel Embolo (26,5 millions d'euros en provenance de Bâle), Nabil Bentaleb (19 millions d'euros en provenance de Tottenham), Sebastian Rudy (16 millions d'euros en provenance du Bayern Munich) et Yevhen Konoplyanka (12,5 millions d'euros en provenance de Séville). Le tout, en permettant à Eric Maxim Choupo-Moting, Sead Kolasinac, Max Meyer et Goretzka de partir sur des transferts gratuits. Schalke a brûlé de l’argent sous Heidel. Ce même Heidel a pris ses décisions en solitaire, sans prendre en compte l’équipe en lien avec l’entraîneur. En tout, ce sont plus de 150 millions d’euros qui ont été jetés par Schalke 04 sans retour sur investissement. À la fin de la première saison sous Heidel, Schalke a terminé 10e et a loupé le coche d’une qualification européenne pour la première fois depuis 2000.

Domenico Tedesco : "Vous savez que je suis plus Mourinho, n'est-ce pas ?
Heidel remplace Weinzierl par Domenico Tedesco, le jeune tacticien germano-italien qui vient de sauver Erzgebirge Aue, club de deuxième division, de la relégation. Sous la direction de Tedesco, Schalke termine à la deuxième place au cours d'une saison 2017/2018 marquée par un derby inoubliable sur le terrain du Borussia Dortmund, où Schalke est parvenu à égaliser 4-4 après avoir été mené 0-4. Lorsqu'ils ont ensuite battu Dortmund à domicile, Tedesco a été invité à monter sur le piédestal des ultras pour mener la Nordkurve dans la célébration. La fracture semblait alors se soigner petit à petit.
Pourtant, malgré la deuxième place obtenue, le football conservateur de Tedesco a été critiqué. Même Tedesco a admis à un journaliste à l'époque : "Sur une échelle de Guardiola à Mourinho, vous savez que je suis plus Mourinho, n'est-ce pas ?"
Mais Tedesco était aussi un bourreau de travail et un perfectionniste et il a essayé d'adapter son style la saison suivante, sans succès. Schalke perd ses cinq premiers matchs en 2018/2019 et des tensions apparaissent dans le vestiaire. Pour les supporters et la direction de Schalke, l’espoir était que Tedesco soit le Jürgen Klopp des années futures. Mais c'était encore un jeune homme qui avait un poids immense sur ses épaules. On connaît même son état proche du burn-out avant d’être renvoyé en mars 2019. Tedesco avait besoin de plus de soutien de la part d'une figure de la direction, en retour, il aurait également pu aider Heidel pour les transferts et la planification de l'effectif. Sauf qu’Heidel se serait senti insulté lorsque le conseil d’honneur lui a fait cette suggestion, c'est pourquoi il a fini par se retirer. Heidel avait déjà démissionné avant la défaite contre Manchester Cityet Tedesco a été relevé de ses fonctions peu après. Schalke a terminé 14ème en 2019. Le changement de paradigme n'a pas donné grand-chose, mais le pire est à venir.

Schalke, coronavirus et bien plus qu’une crise sanitaire
Le vendredi 17 janvier 2020, Schalke a battu le Borussia Mönchengladbach pour prendre la cinquième place de la Bundesliga, au milieu de la première saison de David Wagner au club. Personne ne se doutait qu'il faille attendre 357 jours pour que Schalke gagne à nouveau en championnat, ni des autres menaces existentielles auxquelles le club serait confronté. Lorsque la Bundesliga est suspendue en mars 2020 pour cause de pandémie, la série de matchs sans victoire s'élève à sept, mais Schalke est toujours sixième. On pensait que la pause forcée ferait du bien à l'équipe, donnant aux joueurs le temps de se remettre de leurs blessures avant de se lancer dans l'Europa League. Mais la reprise a commencé par une démolition 4-0 dans le derby de Dortmund. La série sans victoire a continué et Schalke a terminé 12e. Après avoir manqué le football européen lors de trois des quatre saisons précédentes, les revenus vitaux ont disparu et le club s'est officiellement engagé dans une nouvelle voie avec un budget et des objectifs réduits. Lorsque la Bundesliga a été forcée de s'arrêter, il a été rapporté que jusqu'à 13 des 36 clubs des deux premières divisions allemandes pourraient être confrontés à des problèmes financiers existentiels, dont le principal : Schalke. Alors, tout s’enchaîne. Pas d’argent des places européennes, le coronavirus, de fortes pertes à chaque match sans supporters, en plus de l’argent gaspillé sous Heidel, bref, Schalke n’a plus aucune masse salariale et fonce droit contre un mur.
Comme de nombreux clubs, Schalke a pris des mesures pour économiser de l'argent, notamment en demandant aux détenteurs de billets de saison de renoncer, ou du moins de reporter, le remboursement des matchs auxquels ils ne pourraient plus assister. Mais Schalke a fait un pas de plus, en demandant aux fans de soumettre des preuves financières expliquant pourquoi ils ne pouvaient pas se permettre de renoncer à leur remboursement. Pendant ce temps, 24 chauffeurs de l'académie des jeunes ont également été licenciés, souvent des fans plus âgés qui avaient un contrat à temps partiel. Pour ne rien arranger, moins d'un an après le scandale du racisme, Clemens Tönnies fait à nouveau la Une des journaux suite à une épidémie de coronavirus dans l'une de ses usines de transformation de viande qu’il dirige. Pour Schalke, un club qui se targue de son héritage ouvrier et de ses valeurs familiales, c'est un désastre en termes de relations publiques. Les Ultras de Gelsenkirchen ont qualifié leur club de "moralement en faillite". La vision du club par les supporters n’a plus rien à voir avec ce que la direction souhaite faire de l’institution des Bleus Royaux. Une banderole au message cinglant sera affichée devant la Veltins Arena par les ultras les semaines suivantes : "Nous, les membres, avons un attachement étroit et émotionnel à notre club", nous ne sommes pas seulement des clients, nous sommes le club !".
Cinq entraîneurs principaux en 8 mois
Lors de la dernière journée de la saison dernière, Schalke s'incline 4-0 à Fribourg, portant à 16 le nombre de ses matchs sans victoire. Simultanément, des centaines de supporters de Schalke ont protesté devant les bureaux du club à Gelsenkirchen. Tönnies démissionne, mais David Wagner, sous contrat de trois ans, conserve son poste pour une deuxième saison. Wagner gardait encore la confiance de Jochen Schneider, le nouveau directeur sportif qui était arrivé à Gelsenkirchen en promettant de moderniser les structures de Schalke. Il a fait venir des thérapeutes, des psychologues et du personnel général supplémentaires qui pourraient contribuer à alléger la charge sous laquelle Tedesco avait souffert. Mais sa décision de garder Wagner s'est avérée être le premier de nombreux faux pas. Wagner est quand même licencié après avoir commencé la saison suivante par des défaites contre le Bayern Munich (8-0) et le Werder Brême (3-1), et remplacé par un autre ancien entraîneur d'Augsbourg, Manuel Baum. Celui-ci reste 11 matchs sans victoire avant d'être remplacé par Huub Stevens (temporairement) et Christian Gross (définitivement). Gross n'avait pas entraîné en Europe depuis neuf ans, mais il a au moins mis fin à la série de matchs sans victoire de Schalke en s'imposant 4-0 contre Hoffenheim. Mais après avoir perdu six des huit matches suivants, Gross, Schneider et l'ensemble de l'équipe d'entraîneurs sont également licenciés. L'inexpérimenté Dimitrios Grammozis est devenu il y a un mois et demi le cinquième entraîneur principal de Schalke cette saison.
Et maintenant, on fait quoi ?
En mars, alors que la relégation semble inévitable les médias sportifs ont rapporté qu'un groupe de personnes influentes ayant des liens étroits avec le club avait contacté Ralf Rangnick, proposant d'installer l'ancien entraîneur d'Hoffenheim et du RB Leipzig comme directeur sportif et figure de proue d'une reconstruction. Mais Rangnick, ancien entraîneur de Schalke (2004-2005 et 2011), a exclu sa candidature, déclarant : "Compte tenu des nombreuses incertitudes au sein du club, je ne me vois pas en mesure de prendre la responsabilité sportive de Schalke 04." À la place, le travail de reconstruction a été confié à Peter Knäbel. L'ancien directeur sportif de Hambourg de 54 ans peut-être plus connu pour avoir laissé un sac à dos contenant des informations sensibles sur les contrats du HSV dans un parc de la ville en 2015, mais qui s'est néanmoins construit une solide réputation grâce à son travail dans l'académie des jeunes de Schalke. Des changements structurels encore plus poussés sont également à l'ordre du jour. Schalke ayant annoncé une perte de 52 millions d'euros pour 2020, les travaux de construction en cours sur le centre d'entraînement ont été interrompus. La nouvelle directrice financière Christina Rühl-Hamers a promis de “ne plus jouer avec l'avenir de Schalke. Nous ne dépensons que l'argent que nous avons, pas celui que nous espérons avoir".
Depuis la dernière défaite contre Bielefeld, Schalke est officiellement relégué en deuxième division. Rebondir sera difficile, mais les personnes importantes au sein du club ont enfin l’air d’avoir compris les erreurs des précédents détenteurs des postes. Qui est Schalke 04 ? Qu'est-ce qu’il représente ? Et qu'est-ce qu’il veut être ? Il est maintenant le temps pour ces questions d’être répondues. Schalke doit se souvenir de ses racines et de son héritage pour redevenir le géant du football allemand qu’il a été pendant 70 ans.
Marco Gasparini
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