Arsenal 89 : La saison qui a changé à tout jamais le football anglais
- LA FINE EQUIPE
- 23 avr. 2020
- 5 min de lecture
Ces dernières années, le championnat anglais nous a offerts des finishs des plus mémorables. Du but dans les ultimes secondes de Sergio Agüero à la glissade malheureuse de Steven Gerrard, la décision s’est souvent jouée dans le money time. Mais le final qui reste gravé dans les mémoires outre-Manche reste incontestablement le match opposant Liverpool à Arsenal en 1989. Un match à la dramaturgie incroyable en clôture d’une saison au suspens irrespirable. Une vraie finale qui a changé à tout jamais le football anglais. Partie 1/2
Le 26 mai 1989 est un vendredi. La saison était achevée. Même la finale de la Ligue des Champions avait eu lieu 2 jours plus tôt. Mais l’Angleterre joue les prolongations. Un incident tragique a poussé les autorités du football à chambouler le calendrier. Le 15 avril, la tragédie de Hillsborough a fait 96 morts à Sheffield, en marge du match de Cup entre Liverpool et Nottingham Forest.
Pour le Royaume, c’est une nouvelle page sombre. En cette fin des années 80, le foot anglais est écarté du concert européen. Gangrené par le hooliganisme et le racisme, il a touché le fond. Depuis un autre drame, celui du Heysel, en 1985, les clubs de la Perfide d’Albion ont été bannis des coupes du Vieux Continent.
Arsenal se tire une balle dans le pied
A la suite d’Hillsborough, certains joueurs de Liverpool pensent même à raccrocher les crampons. Ils ne se voient plus fouler une pelouse après un traumatisme pareil. D’un commun accord, ils jugent que le jeu sera un remède à la douleur, et le triomphe le meilleur des hommages. Même si les titres ne remplacent pas les vies.
Il faut se rappeler qu’à cette époque-là, Liverpool est l’ogre du football anglais. Les Reds ont gagné 11 des 17 derniers titres. Si le club de la Mersey, quadruple lauréat de la C1 entre 1977 et 1984, n’est plus en droit d’accroître sa domination européenne, il perpétue néanmoins son emprise sur le Royaume. Un doublé coupe-championnat en 1986, suivi d’un titre de champion en 1988. A l’aube de la saison 1988-1989, Liverpool paraît sur les rails d’une nouvelle razzia nationale.
Et pourtant, début janvier, c’est Arsenal qui occupe la tête du classement, avec 11 points d’avance sur les Scousers. Puis l’équipe de Dalglish se mue en véritable rouleau compresseur. Elle va remporter 21 de ses 24 matchs suivants, les 3 autres s’étant aboutis sur un match nul. Pendant ce temps-là, les Gunners se désagrègent. Ils ne remportent plus qu’un seul match sur deux et essuient 4 revers. Losers magnifiques du football anglais, les Londoniens n’ont plus connu les joies d’un titre depuis 18 ans. Encore une fois, leur inclination à l’autodestruction trouble l’Angleterre.
Des Reds éreintés
Arsenal avait rendez-vous chez son concurrent pour le titre le 23 avril. La catastrophe nationale d’Hillsborough, survenue huit jours auparavant, oblige à repenser la programmation des rencontres. Mais la question que tout le monde se pose est : quand et comment replacer ce match dans un calendrier déjà bien encombré ? Un vrai casse-tête. Entre leur demi-finale de FA Cup à rejouer puis la finale dans la foulée, les Reds auraient en théorie la lourde tâche de disputer 8 matchs en 11 jours. Impossible. Une entente est finalement scellée : la saison est prolongée et le match Liverpool-Arsenal marquera son terme, le vendredi 26 mai.
Pour Arsenal, rien ne va plus. Les hommes de George Graham viennent de concéder le trône aux Reds à la suite d’une défaite à Derby County et un nul face à Wimbledon. A l’aube de l’affrontement final, Liverpool jouit ainsi d’une avance de 3 points. 76 contre 73. La bande à Dalglish est également devant à la différence de buts : +39 contre +35. L’équation est simple : Arsenal doit gagner par deux buts d’écart à Anfield. Bénéficiant d’une meilleure attaque, statistiquement parlant, le club du nord de Londres serait alors couronné. Facile à comprendre mais plus complexe à réaliser. En effet, Liverpool ne s’est plus inclinée sur sa pelouse par deux buts d’écart ou plus depuis plus de trois ans. Pis encore, il faut remonter à une quinzaine d’années pour retrouver la trace d’une victoire des Gunners à Anfield. Mission impossible ?
Difficile, donc, d’imaginer que le trophée puisse échapper aux Reds. Sauf que ces derniers sont éreintés après le rythme endiablé de ce mois de mai. Arsenal sera leur 4ème adversaire en seulement 10 jours. Le samedi précédent, soit dix jours plus tôt, ils ont remporté la finale de la Cup face au rival de toujours, Everton. Mais une prolongation fut nécessaire pour départager les deux équipes. En revanche, les Canonniers ont eu tout le loisir de se reposer. Une semaine entière pour se préparer. La fraîcheur physique et mentale sera de leur côté.
ITV se réjouit
Avant la bataille ultime, rappelons les forces en présence. Ce Liverpool est encore composé des joueurs qui ont fait sa gloire sur la scène européenne. Bruce Grobbelaar, Alan Hansen, Ian Rush, Steve Nicol et Ronnie Whelan forment la colonne vertébrale de l’équipe. Kenny Dalglish, lui, a quitté le rectangle vert pour prendre place sur le banc. Quant à Ray Houghton, John Aldridge et John Barnes, ils sont devenus les nouvelles stars des Reds.
L’effectif d’Arsenal, lui, s’appuie sur son duo offensif. Paul Merson est associé à Alan Smith, meilleur buteur du championnat cette année-là. Mais aussi sur des piliers défensifs. De David O’Leary à Tony Adams en passant par Lee Dixon, tous gravés dans la légende du club. Mais aucun des noms cités précédemment ne sera le héros de ce match.
Il fait doux en cette soirée du 26 mai. Tout Liverpool s’apprête à fêter le 18ème titre. Tout le Royaume n’a d’yeux que pour Anfield. Et c’est ITV, le distributeur, qui trinque. Néanmoins, à l’époque, la couverture télévisuelle n’est pas ce qu’elle est aujourd'hui. Les téléspectateurs peuvent assister au match en direct que depuis 1983.
Avant cela, la Fédération Anglaise était réticente à l’idée de diffuser les matchs sur le petit écran, par crainte que les supporteurs délaissent leur place en tribunes pour celle dans le canapé. Cela peut faire sourire avec le temps lorsqu’on sait l’attraction qu’est devenue la Premier League. A la fin des années 80, un seul match en direct par semaine est retransmis à la télévision. Mais ce Liverpool-Arsenal va faire exploser les compteurs. Ce soir-là, ITV enregistrera jusqu’à 14 millions de téléspectateurs.
Le cul entre deux chaises
Tous les adorateurs du ballon rond, en Angleterre, se souviennent où et avec qui ils ont suivi la rencontre. Et cela va bien au delà des fans d’Arsenal et de Liverpool, même si les supporters de Tottenham, Manchester United et autres vous jureront qu’ils ne l’ont pas vu et n’en avaient que faire. Balivernes. En 2014, alors que le match fêtait son quart de siècle, Paul Merson certifiait : “Tous ceux qui ont plus de 35 ans se souviendront toute leur vie de cette soirée”. Mais les souvenirs sont plus amers du côté de la Mersey.
Trois décennies plus tard, c’est toute une ville qui se questionne encore : de quelle manière ce match, et ce titre, ont pu lui filer entre les doigts ? Pour John Barnes, le contexte n’y est pas étranger, comme il l’a exprimé au Daily Mail en 2014 : “Si nous avions eu besoin de gagner, je n'ai aucun doute sur le fait que nous aurions remporté ce match. Peut-être que nous avons joué contre-nature, de façon trop 'négative' par rapport à notre habitude”. Le cul entre deux chaises donc : jouer selon ses principes ou se muer en mathématiciens, les joueurs de Kenny Dalglish ne trouveront jamais le juste milieu.
De ce fait, il va planer au-dessus d’Anfield une drôle de sensation tout au long des 90 minutes, la peur de gagner rattrapant joueurs et fans. Et dans ce genre de situation, le dénouement est rarement heureux.
La suite au prochaine épisode…
Hugo MARTIN
Comments