AD10S Diego, y gracias
- LA FINE EQUIPE
- 26 nov. 2020
- 9 min de lecture

Ce mercredi, le monde du football a perdu bien plus qu’une icône. Diego Armando Maradona, légende du ballon rond, est décédé d’un arrêt cardiaque à l’âge de 60 ans. Une vie trop courte mais bien remplie, celle d’un footballeur fantastique, mais aussi d’un homme fantasque, rongé par une vie d’excès.
La planète football s’est brusquement arrêtée de tourner. Ce mercredi 25 novembre 2020, Dieu est mort. Dans la vaste histoire de ce sport, peu se targuent de prendre une place aussi importante sinon ça a une connotation bizarre que celle qu’occupe « El Pibe de Oro ». Véritable magicien sur le rectangle vert, il laissera aussi au grand public l’image d’un homme excessif, dévoré physiquement et psychiquement par l’alcool et la drogue. Mais sa grandeur l’a placé au-dessus des hommes, notamment à Naples et dans son pays. L’Argentine pleure aujourd’hui sa divinité la plus terrestre.
Un talent précoce
L’histoire de Diego Maradona, c’est celle d’un garçon né le 30 octobre 1960 à Lanús, et qui grandit dans un bidonville surpeuplé et insalubre, Villa Fiorito. Tout jeune, il délaisse l’école, qui ne le passionne guère, préférant jouer au foot dans les rues de Buenos Aires, sans même évoluer dans une équipe. C’est à l’âge de 10 ans qu’il est remarqué par Francis Cornejo, recruteur du club local, Argentinos Juniors.
Il intègre alors les équipes de jeunes, les Cebollitas (les petits oignons), où rapidement il attire les regards de toute l’Argentine. A l'âge de 10 ans, les journaux et les télévisions argentines se bousculent pour rencontrer la jeune pépite. Et c’est dans l’émission Sábados Circulares, en 1971, que Diego Maradona déclare : « J'ai deux rêves, disputer une coupe du monde, et la remporter avec l'Argentine. ». Phénomène de précocité, Maradona débute en Primera División le 20 octobre 1976, 10 jours avant de fêter son 16e anniversaire, devenant ainsi le plus jeune joueur de l’histoire à évoluer dans le championnat argentin. Il évolue durant 5 ans en professionnel dans son club formateur, avant de rejoindre le grand Boca Juniors. Maradona devient rapidement une légende pour les supporters des Xeneizes, bien que n’ayant joué qu’une seule saison sous le maillot bleu et or. Durant cette saison, Boca remportera son premier titre depuis 1976, mettant fin à une domination de l’ennemi juré, River Plate. L’effet Diego.
Barcelone, un rendez-vous manqué
Mais un joueur aussi talentueux ne peut éternellement résister aux sirènes et aux billets que peut offrir l’Europe. Après la Coupe du Monde 1982, Maradona débarque au FC Barcelone pour 7,6 millions de $, le record d’alors. Sa première saison est tonitruante. Avec les Blaugrana, il remporte la Coupe du Roi et la SuperCoupe d’Espagne. Mais surtout, il s’offre une standing-ovation de Santiago Bernabéu après une masterclass contre le Real Madrid, le 26 juin 1983. Seuls Ronaldinho et Andrés Iniesta ont, depuis, eu droit à de tels honneurs.
Mais le rêve va tourner au cauchemar. En septembre 1983, il se fait briser la cheville par Andoni Goikoetxea, défenseur de l’Athletic Bilbao. Si la poursuite de sa carrière est, un temps, remise en cause, il retrouve les terrains après une convalescence de 3 mois. Lors de la finale de la Coupe du Roi 1984, plus de 7 mois après la blessure de Maradona, les deux équipes se retrouvent de nouveau. Et, devant plus de 100 000 spectateurs et le roi Juan Carlos en personne, Diego Maradona dégoupille. Après avoir été de nouveau violemment taclé par Goikoetxea, et avoir reçu des insultes racistes de la part des fans basques, la provocation de fin de match de Miguel Sola, un autre joueur de Bilbao, suite à la victoire de l’Athletic, sera celle de trop. Il déclenche une bagarre générale, à l’issue de laquelle on dénombre pas moins de 60 blessés. La fin d’une histoire catalane. Le début d’une romance napolitaine.
L’idylle napolitaine

Le 5 juillet 1984, Diego Maradona arrive à Naples avec l’aura d’un dieu vivant. Ce sont 75 000 tifosis qui l’accueillent au Stadio San Paolo. C’est durant cette période qu’il atteint son apogée, ainsi que celle du Napoli. En 1987, il va offrir aux Gli Azzurri leur premier Scudetto. Dans une ville qui n’a jamais connu cette ivresse, et qui vit depuis toujours dans l’ombre du puissant nord du pays, cette victoire est une délivrance. Plus encore, c’est une orgie de bonheur. L’écrivain David Goldblatt résume les excès d’une ville à l’image de son idole : « Les célébrations ont été tumultueuses. Une série de fêtes de rue impromptues et de festivités ont éclaté à travers toute la ville, dans un carnaval 24 heures sur 24 qui a duré plus d'une semaine. Le monde a été bouleversé. Les Napolitains se sont moqués. Ils ont organisé des funérailles pour la Juventus et Milan, brûlant leurs cercueils, leurs avis de décès annonçant "Mai 1987, l'autre Italie a été vaincue. Un nouvel empire est né." »
Mais si le succès est au rendez-vous, avec une Coupe de l’UEFA remportée en 1989, Diego Maradona commence à se lasser. Pire, il se sent oppressé dans une ville qui le vénère au point de l’étouffer. Le 3 juin 1989, le journal L’Equipe dévoile des rumeurs selon lesquelles Maradona serait sur le point de s’engager avec l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie. Durant un mois, les rumeurs vont bon train, mais, et même si l’Argentin semble enclin à rejoindre l’OM, le président napolitain Corrado Ferlaino refuse catégoriquement de perdre son joueur star. Maradona quittera finalement Naples par la petite porte, en 1992, acculé par des problèmes de drogue, la suspicion d’un fils illégitime et des liens supposés avec la Camorra. Le reste de sa carrière en club sera anecdotique, avec des passages par Séville, les Newell’s Old Boys, avant un retour à Boca Juniors pour finir sa carrière.
L’Albiceleste
Comme sa carrière en club, l’histoire de Diego Maradona en équipe nationale ressemble à des montagnes russes. Il fait ses débuts avec l’Albiceleste contre la Hongrie le 27 février 1977, à seulement 16 ans. Précoce certes, mais tout de même trop jeune pour être dans l’effectif qui défend les couleurs de l’Argentine lors de la Coupe du Monde 1978 à domicile. Un affront pour Maradona, 17 ans alors, qui ne pardonnera jamais sa décision au sélectionneur de l’époque, César Luis Menotti, d’autant que les Argentins vont soulever la coupe. C’est en 1982, en Espagne, où il vient de signer, que Maradona va découvrir la plus prestigieuse des compétitions. Mais c’est un rendez-vous manqué. Déjà vu comme le meilleur dribbleur du monde et le danger numéro 1 de l’Argentine, il va être victime de nombreuses fautes et d’un marquage individuel très serré. De plus, les tensions au sein de l’équipe entre les jeunes et les joueurs plus expérimentés vont gâcher le mondial des Argentins, éliminés au second tour.
En 1986, Diego Maradona est le meilleur joueur du monde à l’orée du mondial Mexicain. « El Pibe de Oro », brassard de capitaine au bras, va durant toute la compétition éclabousser la planète football de son talent. Les premiers matchs sont une formalité. Arrive le quart de finale, contre l’Angleterre de Gary Lineker, en pleine Guerre des Malouines. Pendant ce match, Maradona inscrit deux buts légendaires. Le premier, la « Main de Dieu », où sur un long ballon, il utilise son bras gauche pour tromper Peter Shilton. Le second surtout, où, quatre minutes plus tard, il reçoit le ballon dans sa propre moitié de terrain, se débarrasse de cinq joueurs anglais puis du gardien pour marquer dans le but vide. « Maradona, tourne comme une petite anguille et se sort des ennuis, petit homme... arrive devant Butcher et le laisse pour mort, à côté de Fenwick et le laisse pour mort, et met le ballon hors d’atteinte ... et c'est pourquoi Maradona est le plus grand joueur du monde. » C’est ainsi que le but a été commenté sur la BBC par Byron Butler. A ce jour, ce moment est toujours considéré comme le plus grand de l’histoire de la Coupe du Monde. Diego Maradona est au sommet de son art, et ni la Belgique en demi-finale, ni l’Allemagne de l’Ouest en finale ne pourront arrêter Maradona et son équipe. A 25 ans, il réalise son rêve de gosse.
Maradona va participer à deux autres Coupe du Monde par la suite. En 1990, chez lui, en Italie, il est diminué par une blessure à la cheville, et malgré une qualification pour une nouvelle finale, il ne peut empêcher les Allemands de prendre leur revanche. En 1994, il est renvoyé de l’Albiceleste après seulement deux matchs pour un contrôle antidopage positif à l’éphédrine. Selon lui, il avait un accord verbal avec la FIFA pour pouvoir utiliser ce médicament afin de perdre du poids avant le mondial, des accusations réfutées par l’organisation. Le second match face au Nigeria est son dernier sous le maillot argentin.
L'échec de 2010
Après plus de dix ans loin des terrains, Diego Maradona est nommé entraîneur de l’équipe nationale argentine en 2008, à la surprise générale et malgré son absence de référence. Une inexpérience qui va se ressentir sur le terrain. L’Albiceleste passe tout proche de l’élimination en éliminatoires de la Coupe du Monde, et ne doit son salut qu’à deux victoires étriquées contre le Pérou et l’Uruguay. Et, après avoir frôlé la correctionnelle, Maradona fait de nouveau parler de lui en conférence de presse, déclarant aux journalistes qui le critiquaient : « Sucez-moi et continuez à me sucer ! ». Lors de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, l’Argentine est finalement éliminée, sèchement, par l’Allemagne en quarts, 4-0. Après cet échec, et malgré des rumeurs de prolongation de contrat, Diego Maradona est finalement remercié par la fédération argentine. Se sentant trahi, il déclare tout de même sa flamme à l’Albiceleste. « Je donnerai ma vie pour être entraîneur de l'équipe nationale. »
Le reste de sa carrière d’entraîneur est anecdotique. Les Emirats Arabes Unis, le Mexique puis finalement l’Argentine, au Gimnasia de La Plata, qu’il entraînait officiellement jusqu’à son décès. Il était également, depuis 2018, président du club biélorusse du Dinamo Brest.
Si yo fuera Maradona, viviría como él
Si on connaît aussi Diego Maradona aujourd’hui, c’est pour l’homme qu’il était. Un homme qui était la preuve en image des ravages de la drogue. C’est à Barcelone, en 1983, qu’a commencé son addiction à la cocaïne, qui va le suivre jusqu’en 2004. En 2017, il déclarait à ce propos : « J'avais 24 ans quand j'ai pris de la drogue pour la première fois. J'étais au Barça. C'est la plus grande erreur de ma vie. (...) La drogue est le plus grand problème qui puisse exister. La drogue tue. » Déjà affaibli par ces années d’excès, il va sombrer dès l’arrêt de sa carrière. En 1997 apparaissent ces premiers problèmes, qu’il balaye d’un revers de la manche. « Ceux qui me croient mort peuvent aller se faire enculer. » Mais une crise cardiaque après une overdose en 2001, puis un autre infarctus en 2004, alors qu'il faisait plus de 100 kilos, vont le conduire en hôpital psychiatrique pour lui faire arrêter la drogue. « À la clinique, lorsque j'étais interné, certains se prenaient pour Robinson Crusoé, d'autres pour Napoléon, et moi, personne ne me croyait lorsque je leur disais que j'étais Diego Maradona. » En 2005, il pèse 130 kg quand il subit en Colombie un pontage gastrique. Depuis, il apparaissait régulièrement dans les informations pour ces nombreux problèmes de santé, résultats d’une vie d’abus.
Maradona, c’était également un personnage public important, aux côtés duquel il était bon de s’afficher. Grand ami de Fidel Castro, soutien de la première heure des présidents vénézuéliens Hugo Chavez et Nicolás Maduro, il s’est montré au grand public dans les années 2000 comme anti-George Bush. Malgré son succès et sa vie dans l’opulence, Diego Maradona a toujours été perçu comme un homme du peuple. En 1987, il fait la rencontre du Pape Jean-Paul II au Vatican, rencontre dont il parle dans son autobiographie : « Je me suis fâché avec le pape. Je suis allé au Vatican : le plafond était recouvert d'or. Et après, on nous dit que l'église se préoccupe des plus pauvres. Mais, putain, mec, vends le toit ! Fais quelque chose ! » Enfin, ses relations floues avec la Camorra ont toujours posé des questions. Quel lien entretenait-il avec la mafia napolitaine ? Est-ce la raison de ces velléités de départ en 1989 ? Est-ce pour cela qu’il a été pris le nez dans la farine en 1991, après être passé entre les mailles du filet durant tant d’années ? Des questions qui resteront probablement sans réponse pour l’éternité.
Diego Maradona s’en est allé, mais pas son héritage. Celui d’un homme qui a sûrement volé trop près du soleil, et qu’une vie d’excès a finalement rattrapé à l’âge de 60 ans. Celui d’un footballeur extraordinaire, unique, sans commun égal hormis peut-être Pelé, son ami. Lui qui a souffert de la comparaison avec le Brésilien durant de nombreuses années (« Si je ne m'étais pas drogué, on ne parlerait même pas de Pelé. ») a reçu du Roi le plus beau des hommages : « Quelle triste nouvelle. J'ai perdu un grand ami et le monde a perdu une légende. Il reste encore beaucoup à dire, mais pour le moment, que Dieu donne de la force aux membres de la famille. Un jour, j'espère que nous pourrons jouer au ballon ensemble dans le ciel. » Il restera de lui des fresques en Argentine, des chapelles à Naples, des œuvres culturelles, dont le film d’Emir Kusturica et la chanson de Manu Chao, des images immortalisées par les caméramans qui ont eu la chance de le filmer, et enfin son stade de San Paolo à Naples, qui porte depuis hier son nom. Parti un 25 novembre, 4 ans après son ami Fidel Castro, Maradona restera à tout jamais au Panthéon du football. Adieu Diego, et merci pour tout.
Elioth Salmon
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